(TGV 09) Derriere le physique d’un chene, (peut se cacher) un roseau


Au mois d’Avril dernier, quelques mois seulement apres avoir glorieusement termine notre premiere course main dans la main, mon oncle Doudou The Devil me telephone pour me lancer un nouveau defi : le « TGV”. « Heu… oui… mais, que veux-tu dire mon Doudou ? » « Je veux dire que je te propose de faire le Trail des Glaciers de la Vanoise ». Touchee par cette invitation, il ne me faut pas plus de temps pour accepter que lorsque j’avais lance a Papa 2 ans plus tot a Chamonix « l’an prochain c’est moi que tu applaudiras », tant je suis emballee a l’idee de faire une nouvelle course avec mon fidele supporter et futur fidele co-equipier !
Jour J : reveil a 3h, et direction la ligne de depart vers 4h40. A quelques minutes du depart, l’organisation nous demande une minute de silence pour les disparus du Mercantour quelques jours plus tot ; une course similaire ou 3 concurrents sont decedes suite a des conditions climatiques épouvantables. Le cerveau n’est pas encore bien eveille mais il l’est assez pour me dire que ce n’est pas une super mise dans l’ambience …
5h, enfin le depart est lance. En seulement quelques metres Doudou est devant moi. En quelques kilometres, il me devance de pres de 2 minutes, mais je ne suis pas etonnee, he’s been training hard for his Iron Man the Devil ! Nous nous retrouvons sur le premier ravito, au Refuge du col de la Vanoise à 2517m, au km 7. « Mister Devil, you here ? What a surprise !! »
Nous repartons ensuite ensemble sur les 14 kilometres suivants pour rejoindre le Refuge de l’Arpont à 2309m. Tout va bien, nous allons a rythme normal, ce qui laisse a Doudou le temps de faire « quelques » photos. 

Redepart a nouveau ensemble pour le passage un peu chiant de la course avec beaucoup de ups and downs mais nous rejoignons a quelques minutes d’ecart (pour une fois c’est moi devant ! J Surement une courtoisie du Devil !) le Refuge Plan Sec à 2310m. Nous sommes plutot juste sur la barriere horaire, a peine une quinzaine de minutes. Aussi nous tachons de trouver des restes de nourriture sur le ravito et repartons dare-dare, enfin, apres encore quelques photos… tout de meme ! J La nous repartons pour 15 bornes relativement faciles : une bonne petite montee mais apres, grande traversee puis grosse descente sur le Refuge de l’Orgère à 1935m au km 51. Pendant la traversee, je commence a etre un peu trop devant Doudou a mon gout aussi je me retourne regulierement pour voir ou il se trouve. Au debut je me dis qu’il doit prendre des photos, ensuite qu’il a du s’arreter pour une pause « Ou le roi va seul ». Et puis avant d’entamer la descente dans le bois je ne le vois plus du tout. Je continue tout de meme d’avancer, convaincue qu’encore une fois il n’est que quelques minutes derriere moi. Arrivee au refuge, apres avoir repris 20 minutes sur la barriere, je me refais une petite sante (que c’est bon les TUC et le fromage de pays bon sang !!!!) en attendant patiemment Doudou car un gros bout nous attend ensuite. Mais les minutes filent et je ne le vois pas arriver. Je demande alors aux concurrents arrives apres moi (si si ca existe !) s’ils n’ont pas vu un photographe… pardon ! un concurrent (et je leur fais la description). Deux me disent qu’il correspond effectivement a quelqu’un qu’ils ont double vers la fin et qui n’etait pas en tip top etat … Disons qu’il etait un peu dans l’etat de quelqu’un qui aurait trop bu pendant Bayonne … Petrifiee par cette annonce, j’espere qu’ils se trompent de personne et je continue de scruter les derniers metres avant le refuge, tout en commencant a penser a « what’s next »… L’idee de continuer seule ne m’enjoue guere, pour 2 raisons : d’une part parce que j’imagine mes oncles et tantes parler entre eux, commenter et dire que ce n’etait pas bien du tout de ma part de le laisser derriere dans cet etat, « il aurait pu y passer », etc… Ndlr ; dans ces courses, quand on est un peu fatigues, l’imagination prolifere !!!! J’attends alors encore un peu. Puis il va vraiment etre temps de repartir … J’hesite j’hesite : ce n’est pas comme si je briguais la premiere place ! (non pas cette fois-ci ! J ) et puis nous avons decide de faire cette course ensemble alors it’s no fun to continue on my own … Mais je me dis egalement que s’il devait me voir la, a son arrivee, abandonnant « pour lui », il me collerait un sacre « bourre-pif » !! Alors je decide de repartir en laissant un petit mot a son attention.
Repartir… oui d’accord, mais toutes ces emotions m’ont bien gardee de me concentrer sur le « troce » qui m’attend a present … 8 kms et 1000 m de denivele d’ascension pour atteindre le col de Chaviere a 2796m, sous la chaleur encore ecrasante… Continuer or not continuer en fait ?! Mais si, continuer of course ! J’attaque donc la premiere partie de la montee a bon rythme, je laisse litteralement sur place les 4 costauds derriere moi. Arrivee au replat, a mesure que le sol s’aplanit, je me dis que j’y suis deja, mon D* mais I rock !! Ce n’est pas possible, j’ai bouffe du Kilian Jornet voire meme de l’Haile Gebreselassie au dernier ravito !! Mais la, je dechante tres tres vite… La trace s’aplanit bel et bien mais part s’evanouir dans cette immense cirque qui se couvre d’une toiture grisatre et surtout dont l’unique sortie semble etre ce mur la-bas tout tout tout au fond, avec ces petites fourmies qui escaladent ce neve-rempart … Non, non, non… NON ! NON ! NON ! Ce n’est pas possible ! C’est pas la qu’on va !! C’est pas possible, c’est a encore au moins 3 jours de marche !!!! Mais maintenant que j’ai lachement abandonne Doudou, je ne vais certainement pas m’arreter. Alors, je remets mon cerveau et mes etats d’ame dans mon sac a dos, sous vide dans un Zip Loc et je continue d’avancer, au plus regulier possible, « comme un metronome (que j’aurais bouffe etant petite) » selon les dires d’une autre concurrente. Il faut que je pense a quelque chose d’agreable : une plage de neige fraiche, une pente vierge, personne, seuls Luc (Alphand) et moi, de la poudre aussi legere que l’air qui virevolte autour de nous, en mangeant du gateau basque… Just the perfect dream ! Mais soudain, my perfect world est « rocked », completement retourne par l’un des coups de foudre (different de celui de Luc et moi J) les plus dechirants jamais entendus… Je rouvre alors les yeux et decouvre que cette toiture grisatre s’est completement refermee sur nous en changeant au noir encre, ne laissant aucune chance au plus courageux d’entre nous… Bon d’accord, j’en rajoute un peu, mais pas sur la couleur du ciel ni sur le tonnerre qui se vivifie et nous transperce les tympans chaque coup un peu plus… Mais, encore une fois, je laisse mon encéphale dans son sac et y rajoute mes oreilles… J’avance, j’avance … J’arrive enfin au pied de cette muraille. J’entame la premiere partie en eboulis où un pied en avant me ramene quatre pas en arriere… Presque comme a Bayonne ma X-tine … Malheureusement, pas de carte chance, ni de passage par la case « teletransportation jusqu'à la ligne d’arrivee… ». Soit, j’avance. Puis, au moment d’attaquer le neve, nous sommes survoles par un helico de la gendarmerie. Helico à gendarmerie àcol à orage… Ok, la course vient d’etre annulee, nous allons donc etre helitroyes depuis Chaviere. Nouveau flash imagination : je m’imagine une cage a requins, suspendu au bout de l’helico, pour les derniers participants et moi-meme, pour un helitroyage jusqu'à a Pralo, pendus dans le vide, transis de froid, debout, tous en pleurs, essayant d’appeler nos proches … ». Non c’est pas possible ! Je ne peux pas faire ca ! Je prefere crever foudroyee que de monter dans cet helico, ou plutot cette tombe d’acier ! Mais un nouveau coup de tonnerre me ramene a moi et une pluie diluvienne commence alors a tomber du plus fort de son poids, me trempant completement en quelques secondes. Je continue d’avancer… Enfin j’arrive au col ou je suis accueillie par un tres beau CRS J … Je m’avance vers lui, alors que nous sommes dans une situation des plus romantiques : la menace/peur de la mort (mais si, presque !), l’isolement, la pluie, les elements se dechainant, cette rencontre inattendue … « Excusez-moi, heu, qu’est-ce qui se passe ? La course continue ? » Et la, comme dans le plus beau des films, il me lance, de sa voix savoureusement distante : « Ben ouais hein, maintenant tu descends. ». Mon Dieu, je (ne) suis (pas) amoureuse ! Quelle (in)delicatesse dans ses paroles ! En plus, il pointe le chemin du doigt sans regarder, ne daignant meme pas me regarder… Oui, c’est sur, je suis amoureuse ! Je n’oublierai pas de (ne pas) demander son numero a l’organisation ! J J Goujat ! Alors, guidee par l’Amour (really ?), en tout cas, a l’aveugle, je me lance a corps perdu dans la descente. Ou devrais-je dire : les toboggans aquatiques !! Aurais-je mal lu le descriptif de la course ?! Ma teletransportation aurait-elle en realite fonctionne ? Serais-je a Walibi ?! Cela y ressemble fort en tout cas ! Pour preuve : j’attrape cette corde-fixe a laquelle je m’accroche du peu de forces qu’il me reste et que le froid m’a laisse et je n’ai qu’a me laisser glisser pour me retrouver plusieurs metres plus bas… Mon Dieu mais c’est genial ! Et dire que j’ai failli abandonner et que j’aurais pu louper ca ! Someone was watching me and guided me !! Mais comme dans tout parc a theme, il y a les montagnes russes, avec ses hauts, et ses bas : je suis en course depuis pres de 13 heures, seule, en montagne, a 2700m sous l’orage et la pluie moussonienne… Et je n’ai toujours pas de nouvelles de mon Doudou mais je n’ai pas pour autant la force de m’arreter pour sortir mon portable. Je ne peux alors pas non plus voir si maman m’a laisse un message. Nouveau flash imagination : apres le rappel du Mercantour ce matin, je vois maman en pleurs devant son televiseur, ecoutant Harry Rose’ lui lancer : « Un nouveau drame dans le petit monde des traileurs… » Elle qui avait fait tant d’efforts en 2 ans pour comprendre cette passion, m’accompagnant meme sur la CCC l’an dernier… Quelle injuste remerciement et gratitude que je lui temoignais alors. Il me faut subséquemment lui « prove wrong » aussi, encore et toujours, je continue a avancer. Je rejoins 20 minutes plus tard le refuge Péclet Polset au km 60. Je me change avec un T-shirt tout sec avant de finir toute bleue. 2 petites soupes et c’est reparti pour les 12 derniers kilometres pour rejoindre la ligne d’arrivee et les nouvelles « du monde exterieur ». Portee surement par l’instinct de survie, je « devale » ces 12 derniers kilometres pour atteindre 2 heures plus tard les prémices du village. J’aimerais avoir un nouveau flash imagination mais malheureusement ce sont bel et bien des rues desertes qui s’ouvrent a moi. Mais qu’attendre d’un dimanche pluvieux a 20h ? Qu’importe, je range a present mes jambes dans mon Zip Loc, comme a chaque course, tant je vole, aimantée par cette ligne. Derniere ligne droite, l’arche jaune et dessous, un photographe, pardon, mon Doudou qui m’attend, avec son appareil (c’est bon, il va bien alors !!), avec l’un des plus beaux sourires que j’ai vus, le meme que s’il avait lui-meme passe cette ligne avec moi. Il ne m’en veut pas. C’est sur, tout va bien maintenant. Alors je lui rends son sourire, encore plus grand, a mesure que je me rapproche de lui et … la ligne, la fin, ses bras, ses mots. I’m safe.
Il y a eu la famille, l’hostilite des elements, la victoire, mais ce n’est pas une vraie « happy ending » mon Doudou. J’ai longtemps hesite avant de faire ce recit, qui me paraissait trop amère. Puis je me suis dit qu’a la maniere de Primo Levi, il me fallait « temoigner », moi la survivante mais parce que je sais que je te le dois en partie : tu etais la avec moi ! Je sais que c’est toi qui a appelle les Elements et a fait tourner les vents. C’etait toi l’orage a 2800, c’est toi qui grondais pour me faire avancer, tes coups de tonnerre etaient en fait les onomatopées pour « Allez allez, on y va ! ». Tout comme ce texto que tu m’avais envoye pendant ma premiere CCC juste avant la montee au Grand Col Ferret, tu me disais « Hate toi doucement, on (je) est (suis) avec toi ». Mister Devil, now I’ll call you « Lifeguard » if you don’t mind !!!!! And I’ll listen for the thunder during the UTMB in one month …

NDLR : Apres relecture, l'auteure a remarque avec emotion que c'est le premier recit sans auto-lynchage. Et trouve ca plutot encourageant :) :)

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