(Ursvik Ultra 10) Vous dites? On est le 27 mars, pas le 27 janvier??! Pourtant …



« It’s the season Grand Opening » !!


Pour la premiere course de la saison, je me suis inscrite sur un 75kms de nuit a Stockholm, l’Ursvik Ultra. C’est une distance raisonnable pour une premiere, surtout que c’est quand meme tot dans la saison et sans trop de denivele puisque sans entrainement a cette epoque. En realite, je n’aime pas quand c’est trop plat et trop court parce que ca va bien trop vite, mais il n’y avait pas beaucoup d’autre choix et de plus, pour la premiere fois, je n’ai pas choisi cette course par reelle envie mais plutot parce que cela m’a ete conseille et parce qu’effectivement cela peut-etre tres bien pour mon graal et aboutissement aoutien. A voir si cela fait une difference sur la ligne !


J-7, trouble starts !! Tout d’abord, a l’instar de beaucoup de pays europeens, la Suede connaît son plus rude hiver depuis 1987 et quoique le 20 mars, la neige est encore bel et bien presente, preservee par des temperatures encore negatives… Je passe ma semaine sur Weather Channel a guetter les conditions et elles ne sont vraiment pas tres rejouissantes, a coup de pluie, de neige, de froid, etc. Et cela ne s’arrange pas avec le mail de l’organisation annoncant que la presque totalite du terrain est « snow covered », soit molle soit gelee mais que de toute facon, « quelque soit les conditions, la course aura lieu ! ». Qui a dit que les suedois n’avaient pas d’humour?? « Des barbares ! » me lancera maman !


J-2, depart pour Stockholm ou je suis logee chez mon amie Clara. Une fois dans le train, je crois avoir decouvert la machine a remonter le temps… A mesure que nous avancons, la neige recouvre de plus en plus les champs et paysages traverses. Ce n’est pas possible, je me suis trompee, je suis montee dans une DeLorean !! Doctor Brown, are you there ?? C’est Retour Vers Le Futur dans le passe, on est mi-janvier maintenant !! Alors que les temperatures a Goteborg ont depasse le O depuis quelques jours, la neige a consecutivement bien fondu et la glace recouvrant les lacs alentours a pris une couleur grisatre, signe qu’elle perd de l’epaisseur et disparaît petit a petit. Je decouvre a mon arrivee avec un sentiment melange de stupeur, enervement et perplexite que Stockholm est en revanche encore etouffee sous la neige et et ses lacs sont toujours prisonniers des glaces.


H-18, commence alors l’une des journees les plus longues de ma vie, avec pour seule attraction, bouffer. Entre temps, je tache de faire quelques siestes mais quoique le corps veuille, mon cerveau fait ses gammes pour ce soir et prepare ses ressources pour me motiver tout du long. Je le laisse faire augurant que j’en aurai bien besoin. Un remede cependant pour ne pas trop cogiter (et ne pas regarder la pluie qui tombe ni les previsions meteos) et poser le cerveau : Will Ferrel et le tres tres bon « The Ballad of Ricky Bobby ».

H-2, en route… Les parents de Clara avaient gentiement proposer de nous emmener, eux qui ne m’avaient jamais rencontree auparavant et qui etaient un peu « interloques » par cette francaise faisant des courses un peu bizarres, et notamment le demi-tour du Mont Blanc en 21 et 24h, ce qu’ils avaient eux realise en 3-4 jours. Peut-etre etait-ce egalement afin de voir si ce n’etait pas des salades et si on ne partait en fait pas dans une rave ou soiree du genre, avec mes bandes reflechissantes sur mes affaires et ma lampe frontale sur la tete!

Sur la route, nous passons devant de nombreux arrets de bus ou sont amasses nombre de jeunes gens de notre age, tous gais avec leurs bieres a la main. On devine ou ils vont en ce samedi soir 22h30… L’adage « on est tous differents » ne me parait pas mieux approprie qu’a cet instant precis !


Lorsque le GPS indique de tourner a droite parce que « du har nått din destination » (vous etes arrives), un silence presqu’aussi glacant que la temperature exterieure s’installe… Mais… il n’y a rien !!! Nous roulons alors a tout petit pas, par peur qu’une banderole « surprise » surgisse ou par peur peut-etre de deranger des gangsters armes… Apres quelques metres, malgre le brouillard, nous distinguons une lumiere eclairant un oriflamme « runner store ». Well, looks like it’s there ! lance-je avec un enthousiasme contenu mais desirant rassurer les parents. Ceux-ci se lancent un regard qui se voulait discret mais je devine leur pensee. Moi qui avais fait le maximum pendant tout le diner pour faire bonne figure et honorer mon education, je pense qu’ils se posaient a present la question de savoir si j’etais vraiment une jeune de bonne famille! De plus ils se demandaient surement comment ils avaient pu aussi facilement se laisser embarquer dans les bas fonds de la banlieue de Stockholm ! Maman ne m’a pas surnommee Sarah Bernhardt pendant des annees ni n’ai-je joue l’ange principal de la piece du lycee pour rien !!


La voiture s’arrete alors sur le parking, desert et sombre, a part une merco rouge aux vitres cassees. La vision de ce terrain vague glauquissime couplee a cette pseudo ligne de depart etouffee par le brouillard est absolument sur dimensionnelle. Ca ne peut-etre qu’une blague et pourtant personne ne rit dans la voiture… J’ai moi-meme les yeux troubles. Nervosite, desespoir, je ne sais que choisir… Peur de la mort peut-etre ! Avant de sortir de la voiture, je jette un œil au thermometre au travers de mes yeux embues : -2. Enfin je crois, mes yeux clignent tellement que peut-etre ai-je mal vu.


Apres avoir decouvert par hasard les organisateurs et recupere mon numero, ma douce Clara voulant certainement racheter l’organisation et peut-etre meme son pays pour ces conditions me lance : « You’re gonna do great but you are already my hero for just being here and taking the start ! ». Sur ces bonnes paroles, nous nous rendons vers le gymnase situe un peu plus loin, qui s’apparente plutot a un depot/Blockhaus abandonne. Apres s’etre assures que ce n’etait pas un squat pour marginaux, Clara profite de la voiture de ses parents pour partir rejoindre ses amis en boite plutot que de risquer une mauvaise rencontre en se rendant a l’arret de bus apres mon depart. Et alors que ses parents sont deja dans la voiture, celle-ci, d’ordinaire assez peu demonstrative, me prend dans ses bras et me souhaite « lycka till » avec un regard semblable a ceux qu’on lance aux condamnes a mort, comme si elle me disait au revoir avant ma derniere heure…


Pendant l’heure qui suit, je tache donc de ne pas prendre froid dans ce vestiaire non chauffe, des conditions sans doute voulues par l’organisation pour ne pas risquer de choc thermique en sortant rejoindre la ligne ! Je m’occupe en attendant et essaye de comprendre comment attacher ces pointes amovibles, achetees a peine quelques jours plus tot. J’y perds quelques couches de peau sur les doigts… Mais de toute facon, j’en perdrai surement un ou deux voire plus de froid dans quelques heures alors autant commencer le travail des maintenant !


M-15, je ferme toutes les ecoutilles et pars rejoindre la ligne de depart. Et bien je ne revais pas, non non ce n’etait pas un syndrome pre-stress, la vision est toujours la meme : un depart a peine eclaire, de la neige partout, du brouillard et, ah non, attendez, un nouvel element ! Une douce et fraiche bruine s’est rajoutee au tableau !! N’est-ce pas merveilleux ? It just keeps getting better ! A M-10, l’organisation commence le briefing, surement pour tacher d’expliquer comment ne pas mourir d’hypothermie mais mon suedois etant encore limite, je ne comprends qu’un ou deux krissprolls par-ci par-la. Je me tourne alors vers l’un des quelques sublimes apollons (ca a quand meme du bon de vivre en Suede) presents dans la « foule » des quelques 60 a prendre le depart (6 filles) et lui demande s’il y a quelque chose d’important que je devrais savoir. Il me repond que non pas vraiment. Reponse polie mais pas locace ni de stress inutile, c’est bien un suedois !


M-1, les jambes flageollent, le cœur s’emballe, la tete tourne et je ne sais pas tres bien si c’est l’excitation de prendre le depart (heu, non peut-etre pas), le stress ou tout simplement mon corps qui tache d’avoir une crise cardiaque et mourir maintenant plutot que de prendre le depart et mourir plus tard dans d’atroces souffrances ! Minuit, allez, depart !!!


En seulement quelques centaines de metres, mmmmm, je comprends tres vite l’immmmmense erreur commise, erreur de jeunesse certainement, d’avoir pris le depart. It’s gonna be hell hell hell !! L’enfer, le calvaire, la géhenne, la route vers le pandemonium, un sejour dans les limbes (et non le palliatif) si tant est que je sois sauvee… Mais il est trop tard, la machine est en route, je COURS a ma perte !


Apres seulement quelques centaines de metres, nous quittons le monde des vivants (des gens normaux ?) pour entrer dans la penombre de la nuit hivernale suedoise. Quoique ma frontale s’etait revelee etre un reel phare lors de mes courses noctures precedentes, je peine a voir mes pieds, notamment genee par les incroyables fanaux des autres concurrents qui m’eclairent par derriere et projettent mon ombre au sol. Aussi, apres seulement 27 minutes (j’ai trouve ca tellement rigolo que j’ai regarde ma montre !!), je sens le sol se derober sous mes pieds et lorsque je realise, d’agressives piqûres se saisissent de mes pieds : je viens de faire un sublime triple saut dans une flaque d’eau on ne peut plus gelee, je ne sais meme pas comment elle ne peut pas etre de glace a cette temperature et j’en ai le souffle coupe. Je tache d’exterioriser le choc mais les sons venant du plus profond ma cage thoracique s’arretent dans ma gorge et n’en sortent pas : pas fous les bougres, il fait bien trop froid pour eux aussi !! Mon instinct de survie me rappelle Mike Horn disant dans ses pages que pour ne pas mourir de froid, il faut continuer a avancer. D’accord Monsieur. Je m’y attelle, je continue d’avancer. J’en oublie mes pieds, peut-etre les ai-je perdus ? Ah, de toute facon, avec cette lampe, je ne vois rien alors autant continuer !


Apres 1h de course, je suis enfin rechauffee, je trouve enfin mon rythme. Mais ce n’est pas pour autant que le moral va bien. Apres avoir commence par les sous bois, dont le terrain etait un melange de ruisseau congeles a traverser, de neige humide et de quelques passages de neige glacee dans les montees et descentes, je dois a present traverser des champs entiers de neige gros sel montant jusqu'à mi-mollet. En seulement quelques metres, j’ai a present perdu la sensation de vie dans mes chevilles, mon sang ayant fui vers mes cuisses ou il fait peut-etre plus chaud. De plus, des bruits etranges se produisent : des « pop » et des « clacs ». Soudain, de vives douleurs dans mes epaules, mon dos, mes aducteurs. A courir dans cette neige, j’enchaine grand ecart facial puis grand ecart lateral, parfois une tentative avortee de front flip, mes pieds partent tout simplement dans tous les sens !! Je tente tant bien que mal de minimiser ce bouffage d’energie, chose que je ne reussis qu’a moitie puisque je me fatigue encore plus a essayer de rester debout sans compter que je fais craquer d’avantage d’os a force de telles contorsions. A un moment, j’ai meme presque pu embrasser mes fesses tellement j’etais dans tous les sens. J’ai toujours voulu etre une chouette contorsionniste, elles ont l’air si cool ! Le brouillard est toujours bel et bien present et je ne peux voir la lune mais je parie qu’elle est pleine, ca expliquerait ces phenomenes et cette ambience rocambolesque!


Apres avoir essaye de retrouver mon calme, j’atteinds une autre partie du parcours, a l’instar des « mondes » a franchir dans les jeux videos, celle du monde merveilleux de la boue. Il est vrai que j’etais encore un peu trop propre… Et puis j’avais quand meme retrouve une temperature corporelle un peu trop normale alors cela tombait bien que de nouvelles mares arctiques se presentent a moi ! Je n’aurais pas deja pris le train vers le passe la veille, je pourrais presque croire que je venais de le prendre et que j’avais atteri au temps de la Grande Guerre. Le brouillard serait le gaz, les tranchees certaines parties du parcours reliees par des boyaux de neige ou de glace, les bombardements lointains mes os qui craquent, les trous d’obus ceux que je creuse en tombant, les cris etouffes les miens, le rationnement ces quelques barres de cereales que je tache de machouiller malgre mon visage congele, la propagande le photographe de l’organisation qui me prendra en photo plus tard et pour lequel je me forcerai de sourire… Verdun/Ursvik, ca se ressemble non ?? C’est surement cela ! Qui a dit que les sportifs n’avaient pas de cerveaux ?? Une imagination pareille, le mien est quand meme sacrement developpe pour analyser tout ca, en meme temps que je ne tomb… cours !


Apres 2h de course, j’apercois la lumiere au bout du tunnel. Je ne suis pas morte – pas encore – mais les lumieres des lampadaires des 2 derniers kilometres percent la brumaille et la sombreur. First lap completed. Ffff, c’est comme si j’etais partie depuis des jours et des jours a travers l’Amazonie comme ce grand Mike Horn apres tout ce que j’ai traverse ! Je me rapproche alors de la table de bridgedes treteaux de ravitaillement et j’ai beau eteindre/rallumer ma frontale pensant qu’elle ne marche vraiment plus bien mais je decouvre le rationnement dont je parlais plus tot. Pour nourriture, il nous est offert des « Kex », biscuits chocolates nationaux mais pas vraiment faciles a manger, 2 bouts de bananes trempees et des « kanel bullar », patisserie typique suedoise. Non seulement je m’en suis tellement gavee les premieres semaines de mon arrivee en Suede (mais oui, cela fait partie de l’acculturation, il faut epouser les coutumes) mais en plus, ceux-la etant on ne peut plus industriels, ils sont tous colles entre eux, notamment a cause de l’humidite. J’arrive a en extirper un du lot. Je manque cependant de m’etouffer sur la premiere bouchee me collant le palais a la langue… Oh, je ne vais pas mourir si betement ! Pas etouffee ! J’ai de telles opportunites de finir transie de froid, tombee de fatigue dans la neige au milieu des bois et entamee par les loups ! J’attrape alors un vers de boisson, bleu violace, surement l’effet de la penombre, mais non, c’est bien une soupe de myrtilles… Je ne comprendrai jamais les suedois qui la boivent comme un remede miracle contre tous leurs problemes, le rhume, les nausees, pourquoi pas la gangrene ?? J’essaie alors de passer au verre suivant, soit-disant du Maxim (boisson energetique) mais c’est tellement dilue qu’on ne sent presque rien. Je crois que je vais rester a mon eau plate… Avec tout cela, j’ai l’impression que ma langue porte un pull.


Apres autant d’evenements en 3-4 minutes de ravito qu’en 2h de courses, je repars, avant que la pluie qui commence a tomber ne mouille les quelques millimetres ici ou la qui sont encore secs. Je suis triste a l’entree du bois quelques minutes plus tard car cernee par les arbres, je vais avoir bien moins de chance d’avoir cette delicieuse sensation des gouttes qui tombent juste entre le cou et le col et qui se faufilent abilement dans mon dos… C’etait l’occasion de faire une bonne action : rechauffer ces pauvres gouttes bien froides au contact de mon corps encore chaud de quelques degres…


Le tour continue, pas de miracle, toujours la meme boue, la pluie, les mares gelees… Apres 2h10 de ce deuxieme tour, alors que je vois a nouveau les lumieres des lampadaires, une minute d’inattention et je refais une pirouette dans cette melasse Camel Trophyesque, histoire de voir si je n’ai rien perdu de mes qualites de femme elastique… Apres m’etre retablie, une intense douleur me prend la partie gauche de mon cou. J’ai l’impression d’avoir un couteau plante. Il m’est impossible de tenir ma tete sans douleur, aucune position ne me soulage. Je suis meme obligee de la supporter comme je peux avec ma main. Arrivee au ravito, toujours ces patures peu attrayantes ni mangeables. Je me force a ingurgiter un kanelbullar, encore un peu plus visqueux et humide si cela est possible. J’aimerais pouvoir me changer, mettre un Tshirt sec, s’il l’est reste dans mon sac, mais il continue de bruiner et je ne peux imaginer me mettre torse nue sans attraper une pneumonie dans la seconde. J’enleve alors tant bien que mal mes gants trempes pour mettre une seconde paire. Et je repars dans le demi-jour.


Ce troisieme ne connaît guere de changement : les tranchees se creusent apres le passage repetitif des coureurs, la boue gagne du terrain, les pieces d’eau s’elargissent, ne laissant aucune autre possibilite que de les traverser a deux pieds sur plusieurs metres. Et je suis toujours seule. Seule dans ses bois silencieux ou je ne peux imaginer qu’aucune bete ne vive. Je suis meme certaine qu’il y a des trolls malefiques qui n’attendent que de me deguster, affames par ce long hiver. Mes tribulations ne sont suspendues qu’un court instant lorsqu’un coureur, soit de relais sur le grand tour soit engage sur le 45kms, me depasse. Un reconfortant « hej » ou « lycka till » me fait du bien mais n’enleve rien a l’amertume d’etre doublee si facilement et a une telle vitesse. C’est comme si les elements ne les tourneboulaient pas d’un fil. Il court sur cette neige comme moi je skie, juste tout droit, sans se poser de questions, sautant d’une bonne a l’autre.


J’atteinds le « ravitaillement » en 2h30 pour ce troisieme tour. On ne distingue a present plus les Kanel bullar reduits en puree. Je me rabats sur les Kex. Pourquoi pas du Toblerone ou des Kinder Bueno tant qu’on y est ! J’enleve ensuite mes eponges qui me servent de gants pour enfiler ma derniere paire de gant de rechange. Je retire egalement ma frontale maintenant que le « jour » est apparement la. Je respire un grand coup. En rangeant ma lampe dans mon sac, j’apercois mon ecusson : « Pain and cold are just information ». Un cadeau de mon frere pour le depart de l’UTMB, un adage des parachutistes lors de la bataille de Bastogne. Je pose ma main dessus, remets mes gants froids et trempes, respire encore, me releve, et repars.


J’aimerais pouvoir mettre un peu de piment dans le recit mais c’est le meme refrain : froid, boue, neige, glace, un peu plus de neige, de l’eau paralysante. Mais je ne le remarque meme plus, a croire que mes pieds s’y sont habitues voire tout mon corps. Dans les derniers kilometres de ce tour, je rejoins ce que je crois etre dans un premier temps une hallucination mais qui se revele etre bien vrai, c’est bel et bien un sublime apollon. Non je n’ai pas quitte le monde des vivants, je suis toujours en Suede. Enfin un peu de reconfort dans ce monde de brutes. Nous n’echangeons pas beaucoup mais c’est assez d’etre deux. Lui fait le 45 kms. Il fait son dernier tour. Comme je suis souvent devant et que je relance comme je peux, il me dit qu’il y croit, que je vais finir. Je le pense un peu aussi alors je le remercie. Je ne serais pas si degoutante, je l’embrasserais ! Mais a mesure que l’heure avance mais pas forcement nous, le couperet des 9h pour entamer le dernier tour s’abaisse petit a petit. Peut-etre maintenant ai-je ete transportee a Fort Boyard, les trolls etant les tigres me menacant alors que quelqu’un me crierait « Sors sors !! ». Je tache de mobiliser les forces qu’il peut me rester. Combien en reste-t’il qui ne sont pas « mortes pour moi » ? Les survivantes sont courageuses et dans une convulsion d’adrenaline, elles me portent jusqu'à la table des ersatz de mangeaille. Mais je sais que j’ai pres de 30 minutes de retard. Les 3 organisateurs sont la et m’applaudissent et me lacent un –ce qui me semble- sincere « bra jobbat » (good job). Je suis emue, qu’ils le pensent ou non. Moi je pense que jusque la c’est pas mal. Mon Adonis, qui arrivent quelques secondes plus tard, me congratulent a son tour et m’assure que je vais y arriver, qu’il n’y a plus qu’un tour. L’organisatrice vient vers moi et me dis que compte tenu des conditions, ils me laisseront repartir et que je peux finir si je le veux. Je suis partagee. Plusieurs pensees traversent mon esprit :

- j’ai froid, j’ai vraiment tres froid et je n’ai plus de gants de rechange

- au rythme auquel je vais, ce sont encore 2h30/40 d’effort qui m’attendent et absolument seule

- il faut que je previenne ma Clara que j’aurais 1h30 de retard, avec le risque que cela derange ses parents ou ses plans

- et puis surtout, le fait d’etre sans nul doute la derniere, je ne veux pas avoir la pression en imaginant les organisateurs attendre cette (fichue) derniere concurrente sans interet, 2h40 plus tard alors qu’ils pourraient plier et rentrer au chaud.


Cela aurait ete un parcours « normal », j’aurais sans aucun doute continuer. J’ai vecu l’intense chaleur d’une CCC, la boue gluante d’une Saintelyon, la cheville foulee d’un Annecime, l’orage a 2800m d’un TGV, je pouvais supporter ces conditions un peu plus. Mais l’idee de repartir pour un nouveau tour sans grand interet a certainement joue dans ma decision d’arreter. Un de plus ou de moins, je ne voyais sincerement pas plus de satisfaction de m’arreter la ou au tour suivant. J’ai donc rendu mon dossard a l’organisatrice qui m’a dit « Malgre tout, c’est tres bien compte tenu des conditions et tu as deja fait bien plus que beaucoup d’autres concurrents masculins qui n’ont soit pas pris le depart soit arrete dans les premiers tours » (25 finisheurs et 35 abandons). Je vois dans ses propos un petit peu de zele mais qui partait d’une bonne intention.

Apres l’echec sur blessure a l’UTMB, je ne pouvais imaginer de commencer ma saison par un echec. Mais quoique techniquement je n’aie pas fini cette course, je ne veux pas considerer le resultat comme un echec :

- je savais que compte tenu de la courte distance et de la relative platitude, cela irait vite et X sait que je n’aime pas cela. Mais je suis contente d’avoir relativement bien relance quand je le pouvais.

- j’ai toujours deteste faire des circuits a l’entrainement et ces 5 tours a faire etait quelque chose que je craignais deja a l’inscription. Aussi, le fait que cette course ne fût pas vraiment une epreuve comme je les aime (jusqu'à present… !) ou comme j’en ai l’habitude m’enleve mon sentiment de defaite. Peut-etre est-ce de l’auto-persuasion mais je n’ai pas le sentiment de n’avoir reellement fini quelque chose car je ne pense pas que j’aurai eus un sentiment d’accomplissement accru d’avoir fini ce dernier tour

- enfin, a la facon dont je raconte cette aventure, j’ai malgre tout pris du plaisir et je resignerais a nouveau, voire meme chercherai-je des courses semblables !

- ce qui est certain c’est que je suis paree pour absolument toute condition meteorologique a present, il me juste modifier mon materiel en consequence !


Bien sur, l’ego (necessaire) qui habite tout coureur me rappelle que je ne peux dire que j’ai fini la course et de la decoule une deception couplee d’un leger sentiment de honte, c’est certain. En plus de l’intense joie, quelle fierte de pouvoir dire que l’on a fini une telle course. Cependant, encore une fois, je suis contente des 4 tours accomplis et je me satisfais voire me rejouis d’avoir ne serait-ce que pris le depart. Je n’avais jamais couru dans de telles conditions. Arretee pres de 2 mois en fin d’annee pour cause medicale, je ne me suis entrainee sur la neige fraiche et seche de Goteborg qu’une dizaine de fois et pour pas plus de 2 heures. Les suedois eux sont genetiquement crees pour ces conditions, quoique exceptionnelles tout de meme a ce point ! J’en veux toujours plus et accepte tres mal l’echec mais aujourd’hui, j’accepte d’etre francaise en Suede, de n’avoir que 24 ans et de forger mon experience. Je n’oublie pas non plus que je suis une skieuse et descendeuse avant tout et que l’age moyen de victoire dans cette discipline est la trentaine. Mon Luc avait 32 ans. De plus, comme l’a souligne mon ami Pierre B, que je n’avais a l’origine pas l’intention de remercier dans ce recit comme je le fais souvent puisque c’est lui qui m’a « decidee » a faire cette course ( !) mais il s’est rattrappe en m’envoyant le message suivant : « Entrainement difficile, course facile ». Et en effet mon but ultime de cette saison est bel et bien l’UTMB, rien d’autre, et aujourd’hui n’etait qu’une premiere de la saison et un entrainement. Epique certes, mais qui me donne la chance encore une fois d’exercer ma passion de courir et surtout celle de tusitala, les conteurs d’histoire chez les samoans.

Aucun regret donc car pour une fois, less is more.



Preparation du sac: les fringues

Preparation du sac: la bouffe


Un bon petit dej...


Les fameux choklad Kex...

Un kanelbulle en temps normal ...

Premiers doutes? ...


La foule au depart...

60 participants...






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Commentaires

  1. Gratianne !!!!!

    Tout d'abord merci pour ton blog encore une occasion d'avoir des nouvelles de tes aventures..... je ne vais pas le redire cent fois mas je suis fier de toi comme tu le sais et je pense avoir pu ressentir l'intensité de l'effort par de telles conditions météorologiques ...

    je te suivrais comme d'hab pour la suite de tes courses j'espère te voir très vite .....

    je t'embrasse

    Alex qui pense à toi ....

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  2. Ma Tatanne !
    Encore un super récit pour un course dantesque ! Certes, tu es complètement tarée, mais c'est comme ça qu'on aime notre Gratianne nationale !
    Je suis impressionné à chaque fois que tu passe une ligne de départ, et honnêtement, la ligne d'arrivée n'importe que peu.

    Je compte bien t'accompagner cet été sur l'UTMB, te suivre ! ça va être un grand moment, même pour moi !

    Ne lâche rien, on est super fiers de toi, et pour une première course, tu as encore fait un super boulot !

    Merci pour ce récit, gros bibis !

    manu

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  3. Sacrée Gratianne,
    ton récit est tellement prenant, que j'en ai des engelures aux orteils..
    Je suis partagé entre mort de rire (j'ai vecu ta course que tu racontes avec beaucoup d'humour) et mort de honte ( car c'est moi qui t'ai conseillé de t'inscrire,sans m'immaginer dans quelle aventure tu partais).
    Toute mes excuses de t'avoir envoyée au feu et milles félicitations.
    Digne disciple de Mike Horn.
    A trés vite dans les Pyrénées.
    Pierre B qui va surement en baver cette fin d'année.

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  4. Ma pauvre Gratianne, quelle folie !!
    Des conditions dantesques, la nuit, quasi seule ...quel mérite ! Et plusieurs boucles, quelle horreur, à chaque passsage, une remise en question. Je comprends ton "arrêt", je n'aurais pas tenu aussi longtemps. D'ailleurs je ne serais même pas parti, le froid me paralyse. la galère est bien plus supportable au soleil :-)
    Chapeau bas pour ta ténacité et ta volonté.
    RDV à Chamonix où j'espère pouvoir te voir partir avant d'entamer la TDS quelques heures plus tard.
    Bernard

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  5. Bravo pour ton courage car il faut oser, faire preuve d'une grande détermination pour s'engager dans ce type de course.
    Merci pour ce récit si près de la nature...
    @+ Benoit

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